Au Bénin, les cybercriminels sont habituellement connus sous le nom de « Gaymans. » Les premières méthodes d’escroquerie concernaient les réseaux de jeunes se faisant passer pour des homosexuels, pour appâter des personnes de la même orientation sexuelle dans les pays occidentaux, d’où le nom de « Gayman » donné à la plupart des cybercriminels opérant à partir du Bénin.
Le phénomène fait son apparition dans les années 2000 et se caractérise essentiellement par des arnaques en ligne par des individus sans connaissance particulière en informatique, mais avec de solides atouts en psychologie.
Pour Nicaise Dangnibo, le directeur de l’’Office central de répression de la cybercriminalité (OCRC), une unité spéciale de la police béninoise, « le phénomène a pris ses racines à partir du Nigeria, l’un des tout premiers pays d’Afrique de l’Ouest confrontés au phénomène de la cybercriminalité. »
Avec les premières mesures de rétorsion mises en place par les autorités nigérianes, les cybercriminels se sont massivement délocalisés au Bénin et en Côte d’Ivoire.
Ces derniers copiaient sur Internet des photos de jeunes hommes « beaux et musclés » à la recherche de l’âme soeur.
Les méthodes d’escroquerie se sont ensuite diversifiées, pour s’étendre au love chat, au porno-chantage, puis à des montages complexes de fausses affaires.
“Internet a certes révolutionné le monde au point qu’il serait difficile d’imaginer un autre monde sans internet ; mais, autant les coupeurs de routes existent et pourtant nous circulons sur nos routes, autant les flibustiers existent et pourtant nous naviguons sur les eaux ; autant les cybercriminels existeront toujours et nous allons toujours surfer sur le net.”
Pierre Dovonou Lokossou
Gestionnaire de projets technologiques
Selon Pierre Dovonou Lokossou, gestionnaire de projets technologiques, « la première arnaque via l’Internet au Bénin a eu lieu deux ans après l’arrivée du web dans le pays. Il s’agissait d’un Nigérian se prénommant Christopher qui avait escroqué un pasteur américain (Jim), en se faisant livrer 40 ordinateurs, 10 imprimantes et un millier de bibles, en échange d’un chèque délivré par une banque fictive ».
Pierre Dovonou Lokossou raconte qu’à cette époque, « la plupart des mails indésirables (spams) provenant du Bénin étaient en anglais. La répression des actes de cybercriminalité au Nigéria avait vite fait de déverser au Bénin et dans la sous-région de jeunes Nigérians qui pouvaient désormais poursuivre en toute impunité leurs sales besognes… »
« Par la suite, ajoute-t-il, de l’anglais, les spams ont commencé à être rédigés dans un français approximatif, signe qu’avec le séjour de ces cybercriminels anglophones au Bénin, l’apprentissage de la langue française a été mis à contribution. »
Mais actuellement, à en croire le gestionnaire de projets, « le phénomène a pris de l’ampleur dans toute la sous-région ouest-africaine ». « Aussi bien des Béninois que des Togolais et des Burkinabè, des Nigériens et des Ivoiriens s’adonnent à cœur joie à ce cyber-banditisme », précise-t-il.
Offres de vente
Il s’agit le plus souvent de propositions de prêts, voire de dons ou d’offres de vente assez diversifiées diffusées sur des sites internet, ou parfois envoyées sous forme de spams aux internautes.
Les offres de vente vont des appareils électroménagers aux métaux précieux en passant par les téléphones portables, les ordinateurs, les véhicules, voire les animaux ou les domaines fonciers.
Une étudiante en Relations internationales, Adidjath Kitoyi, raconte avoir été contactée en 2012 sur le réseau social Facebook par « une Suissesse âgée de 83 ans atteinte d’un cancer au stade très avancé » qui souhaitait lui céder « une fortune héritée de ses parents et qui se trouve dans les coffres d’une banque à Genève ».
Appâtée, Adidjath s’était empressée d’envoyer à une adresse indiquée (qui se révèlera inexistante) tous les documents administratifs réclamés par son interlocuteur avant d’effectuer à l’attention d’un « intermédiaire » basé en Côte d’Ivoire un transfert de 150 000 FCFA représentant « les frais de dossiers ».
Par la suite, il ne lui était plus possible de communiquer avec la Suissesse donatrice, ni avec l’intermédiaire en Côte d’Ivoire.
La mésaventure d’Adidjath Kitoyi n’est qu’un cas parmi des centaines, voire des milliers d’autres victimes des cybercriminels.
Pierre Dovonou Lokossou distingue trois catégories de cybercriminels.
« La première est celle de ces jeunes qui n’ont pas un emploi légal connu et qui ne fréquentent que les cybercentres ou qui sont toujours avec leur ordinateur portatif et qui ont un train de vie largement au-dessus de la moyenne. Ils changent souvent de motos ou de voitures. Ils peuvent disparaître du quartier pendant des mois et réapparaître pour faire croire aux gens qu’ils étaient en France ou à Abidjan, alors qu’ils étaient en prison ou en cavale; la deuxième catégorie est celle des jeunes qui vont, soit au collège, soit à l’université, ou qui ont un emploi, mais s’adonnent à la cybercriminalité et à divers autres actes d’escroquerie; la troisième catégorie comporte les jeunes qui sont embauchés souvent par les cyber-bandits de la première ou deuxième catégorie et qui jouent le rôle d’assistants. Ce sont eux qui vont récupérer l’argent à la banque, qui jouent le rôle de secrétaire, d’avocat, de notaire pour confirmer au téléphone que le patron ou “son client” est quelqu’un de “bonne foi”…
Dispositif législatif
De 1997 à ce jour, ce qui n’était alors qu’un cas isolé à l’époque s’est mué en un cas d’école. De 2005 à 2010 notamment, le nombre de jeunes quittant les bancs au profit des cybercafés a considérablement augmenté.
Aujourd’hui encore, le phénomène est palpable et les nombreuses descentes de la police ne découragent pas les malfaiteurs.
A la sous-direction des crimes économiques et financiers de la police béninoise (ex-Brigade économique et financière-BEF), la cellule de lutte contre la cybercriminalité a déjà eu à effectuer plusieurs arrestations.
De source proche de ce service de police, quelques-uns des auteurs de ces forfaits via le web croupissent en prison.
La loi portant lutte contre la corruption, adoptée en 2011, qui y consacre tout son chapitre XV (« Des infractions cybernétiques, informatiques et de leur répression »), condamne fermement la cybercriminalité.
L’article 124 dispose notamment : « Quiconque a procédé à la falsification de documents informatisés, quelle que soit leur forme, de nature à causer un préjudice à autrui, est puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de deux millions de francs CFA à vingt millions. »
Mais du dispositif législatif à la réalité sur le terrain, semble exister un grand fossé.
La note d’alerte de l’ambassade de France au Bénin citée plus haut est sans ambages :
Toutefois, des réflexions existent sur le plan local en faveur de la lutte contre la cybercriminalité.
En 2010, le professeur agrégé de droit, Joseph Djogbénou, concluait ainsi une étude intitulée « la cybercriminalité : enjeux et défis pour le Bénin » :
« Le cybermonde appelle la cybercriminalité. A la lumière de l’ensemble de ces considérations, la réponse nationale devra répondre à une double exigence de cohérence. En premier lieu, elle doit, et il ne saurait en être autrement, tenir compte de la convention de Budapest avec laquelle elle doit nécessairement être compatible. En second lieu, elle doit forcément s’inscrire dans un environnement régional propice. La situation est donc mûre (à notre sens) pour un instrument régional en la matière. Toutefois, il faut sur ce sujet un changement d’approche. En effet, l’examen des travaux réalisés jusqu’ici montre que la cybercriminalité n’est pas traitée de façon spécifique, mais comme un aspect particulier de la criminalité organisée. Ici encore c’est aux experts béninois et africains de mettre en exergue la nécessité et l’exigence d’une approche spécifique de la question. C’est à ce prix que l’Afrique parviendra à s’arrimer à la révolution post-industrielle en cours. »
Pour sa part, le gestionnaire de projets technologiques, Pierre Dovonou Lokossou appelle à éviter le piège de la résignation : « Internet a certes révolutionné le monde au point qu’il serait difficile d’imaginer un autre monde sans internet ; mais, autant les coupeurs de routes existent et pourtant nous circulons sur nos routes, autant les flibustiers existent et pourtant nous naviguons sur les eaux ; autant les cybercriminels existeront toujours et nous allons toujours surfer sur le net. »
Le plus urgent, selon lui, « c’est que nos autorités prennent le taureau par les cornes pour freiner de façon drastique ce fléau qui n’honore pas le Bénin et la sous-région ouest-africaine. »
Article original de Virgile Ahissou
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