La Section de recherches de Dakar nous a ouvert ses portes. Coup de chance, elle investiguait justement sur une arnaque par Internet. La victime, une religieuse, y a laissé un joli montant.
«Pour être plus efficaces, il nous manque encore du matériel»
«Ici, c’est le laboratoire des N-Tech», explique Sekou Diatta en nous faisant entrer dans la pièce. Les fameux «N-Tech», ce sont les enquêteurs en cybercriminalité de la gendarmerie sénégalaise.
Le long du mur, une immense étagère remplie de matériel pour perquisitions et scènes de crime. Comme dans les films: sachets plastiques, rubans de signalisation et gants en latex. Mais les enquêtes menées par Sekou Diatta et ses cinq collègues sont plutôt numériques.
«Nous sommes chargés de récolter toutes les informations relatives au délit. Par exemple sur des disques durs ou des clés USB», détaille le spécialiste. Et il espère que son équipe s’agrandira rapidement. «A six, cela fait un peu juste pour couvrir tout le territoire», reconnaît-il.
Ce qui n’empêche pas les enquêteurs de traiter déjà les nombreux cas de cybercriminalité qui touchent le Sénégal actuellement, selon lui. «Mais c’est vrai que pour être plus efficaces, il nous manque encore du matériel.»
Le capitaine Abdoulaye Mbodj Ndiaye est un homme pressé. C’est dans sa voiture de service, en route pour la caserne de gendarmerie, que le numéro 2 de la Section de recherches nous accorde quelques minutes. «Il y a de plus en plus de plaintes liées à des escroqueries sur Internet. Ce sont des affaires très courantes ces derniers temps au Sénégal», explique-t-il tout en conduisant. L’après-midi est déjà bien avancée et il lui reste encore beaucoup de travail. Le matin même, ses hommes sont intervenus dans un bureau de transfert d’argent pour arrêter un arnaqueur.
Mais pas le temps de se féliciter, l’affaire qui le préoccupe actuellement est une fraude à plus de 260 millions de francs CFA (environ 400 000 francs suisses). Sur ce dossier, Abdoulaye Mbodj Ndiaye n’en dira pas plus. En revanche, il accepte de nous laisser assister à l’enquête sur l’escroquerie par Internet dont une religieuse sénégalaise a été victime.
Marie* vient justement de déposer une plainte. «En juillet, j’ai reçu un courriel d’une Canadienne qui voulait correspondre avec quelqu’un au bout du monde», raconte-t-elle. Une proposition que la religieuse accepte avec plaisir. La dénommée Cassandra lui envoie alors plusieurs photos et lui donne de nombreux détails sur sa famille. Quelques échanges de courriels plus tard, la fausse Canadienne fait une proposition étonnante à Marie. «Elle m’a dit qu’elle avait envoyé un colis avec des ordinateurs et des appareils photo à sa sœur au Bénin.» Sauf que celle-ci a dû rentrer au pays en urgence. Cassandra demande donc à la religieuse si elle peut récupérer les paquets à sa place.
Marie a des doutes, mais la Canadienne sait comment la convaincre. «Elle m’a pris par les sentiments en me disant qu’il y avait aussi un album de photos de famille. Cela m’a émue», précise la sœur. Elle entame donc les démarches pour récupérer le colis et apprend qu’elle doit payer des taxes. «Tout a été très vite, j’ai versé la somme demandée pour rendre service», explique-t-elle. Le colis n’arrivera bien sûr jamais. Intriguée, la religieuse se renseigne sur Internet et découvre qu’elle a été victime d’une arnaque. «Ils m’ont encore appelée pour me réclamer plus d’argent, donc je me suis décidée à porter plainte», précise-t-elle. Marie souhaite surtout que son escroc soit mis hors d’état de nuire. «Cela m’a choquée, ils prennent vraiment l’argent de n’importe qui. Que tu sois pauvre ou riche», regrette-t-elle.
Investigations numériques
De son côté, le capitaine Abdoulaye Mbodj Ndiaye et ses hommes ont déjà commencé leur enquête. Ils inspectent l’ordinateur portable que la victime a amené avec elle. «Cela nous permet de recueillir un maximum d’éléments numériques pour mener nos investigations», explique-t-il. Ils commencent par analyser le contenu des échanges, en l’occurrence des e-mails Yahoo. «Là, par exemple, on a un numéro du Bénin alors que l’escroc prétend être au Canada», explique un spécialiste en plein travail. Les gendarmes vont ensuite s’attaquer à l’enquête numérique à proprement parler. Cela va notamment leur permettre de récupérer l’adresse IP du suspect. Quelques secondes plus tard, ils la géolocalisent dans un quartier de Cotonou, la capitale du Bénin.
Le capitaine doit donc procéder à une réquisition de coopération internationale pour obtenir plus d’informations sur ce dossier. Ce qui peut parfois prendre du temps. Mais il assure qu’il ne donne pas la priorité à certains dossiers en fonction de l’origine des victimes ou des suspects. «Ce qui compte pour nous, c’est la gravité des cas. Notamment la valeur du délit et le risque d’atteintes physiques», précise-t-il.
Il reconnaît toutefois que devant le nombre croissant d’affaires d’escroquerie, la cinquantaine de gendarmes qu’il dirige est parfois obligée de déléguer à d’autres unités. «Mais nous ne jetons jamais un cas aux oubliettes, nous faisons toujours de notre mieux.» Surtout que la cybercriminalité n’est pas leur seule préoccupation. «C’est pour cela que l’unité spécialisée qui sera créée en novembre prochain est très importante», conclut-il.
Denis JACOPINI est Expert Judiciaire en Informatique, consultant, formateur et chargé de cours.
Nos domaines de compétence :
- Expertises et avis techniques en concurrence déloyale, litige commercial, piratages, arnaques Internet… ;
- Consultant en sécurité informatique, cybercriminalité et mises en conformité et déclarations à la CNIL ;
- Formateur et chargé de cours en sécurité informatique, cybercriminalité et déclarations à la CNIL.
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Source : http://www.lematin.ch/monde/gendarmes-pleine-enquete/story/22226136
Par Fabien Feissli (textes) et Maxime Schmid (photo)
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