A l’heure où Internet permet aux consommateurs de se forger une opinion sur n’importe quel produit ou service, il est capital pour toute entreprise, particulièrement celles exerçant une activité via internet, de bénéficier d’une bonne e-réputation.
Parmi la multitude d’avis de consommateurs peuvent se cacher des messages diffamatoires causant des préjudices sérieux à la réputation des entreprises. Lorsque ces dernières les découvrent il peut être déjà trop tard pour agir.
Antérieurement à tout achat, les consommateurs normalement diligents effectuent des recherches sur les produits ou services qu’ils envisagent d’acheter. Leurs recherches se tournent alors vers des forums de consommateurs qui sont le plus souvent hébergés par des associations pour la défense de consommateurs. Ces forums sont mis en place afin que les consommateurs puissent exposer leurs retours sur la prestation d’un professionnel et, dans le cas où un litige pourrait naître, de trouver une médiation avec ce dernier.
Cependant, certains messages, postés par des utilisateurs, ou par des administrateurs ou modérateurs du forum, s’apparentent à des messages malveillants dont la finalité n’est plus d’avertir le consommateur ou le professionnel d’une difficulté mais clairement de jeter l’opprobre sur un professionnel ciblé.
Face à l’anonymat désinhibiteur dont profitent les (vrais ou faux) consommateurs sur internet, les e-commerçants peuvent rapidement se retrouver victimes de diffamations à leur insu. Malheureusement, les actions contre ces types de messages s’avèrent difficiles à engager, cela dû à un cadre législatif obsolète nécessitant une adaptation aux circonstances actuelles.
I/ L’e-diffamation commerciale considérée comme un délit de presse : une action rapidement prescrite pour un préjudice continu
La diffamation, qu’elle soit faite au moyen d’internet ou non, est définie par l’article 29 de la loi du 29 Juillet 1881 relative aux délits de presse. L’article 1382 du Code civil fixant la responsabilité délictuelle est ainsi exclu au profit de la loi spéciale (Cass. 2ème civ., 10 Mars 2004, n° 09-65.35).
Elle correspond à l’allégation ou l’imputation, faite de façon publique, d’un fait précis portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale, déterminée ou déterminable.
Le délai de prescription pour la diffamation étant de trois mois (article 65) à compter du message diffamatoire publié, l’action en réparation s’avère difficile à engager étant donné que la société victime peut connaître des faits plusieurs mois, voire années, après la publication desdits messages. Dans ce cas, la victime sera privée de réparation bien que le message restera accessible et que son préjudice sera toujours actuel.
Ce délai pouvait trouver son intérêt dans le cas des diffamations par presse « papier » car le préjudice y était temporaire. Pour ce type de diffamation, l’article diffamatoire n’était accessible qu’aux personnes ayant acheté le journal ou magazine sur lequel il était diffusé. Ce support, une fois son délai de publication passé, devenait introuvable et le préjudice, bien que n’étant pas éteint pour autant, s’amoindrissait.
Dans ces conditions, il apparaissait juste que la responsabilité de l’auteur ne puisse pas être engagée 3 mois après la publication des propos litigieux.
Tel n’est pas le cas pour les messages de diffamation sur internet. Ceux-ci, couplés aux méthodes de référencement des moteurs de recherche, deviennent facilement accessibles lorsque le nom de la société est recherché. Les liens url ne pouvant disparaître naturellement, le préjudice sera continu tant que les messages n’auront pas été retirés. Il faudra, pour cela, passer par une procédure judiciaire si l’auteur du message, ou l’administrateur du site sur lequel il est publié, refusent de le retirer amiablement. La société diffamée peut ainsi se retrouver dans l’impossibilité de faire réparer son préjudice.
Ce préjudice a des conséquences bien plus importantes que la simple atteinte à l’honneur de la société : perte de clients potentiels et/ou habituels qui ont été dupés par les messages ou qui, dans le doute, ont préféré éviter le commerçant diffamé, perte de chiffre d’affaires, perte de confiance de la part des partenaires économiques… A terme, ce sont l’existence de la société et les emplois de ses salariés qui sont menacés.
Le préjudice causé par l’e-diffamation n’est donc pas comparable à celui causé par la diffamation prévue par la loi de 1881. Les enjeux et le caractère permanent de la publication en font toute sa particularité, soulignant l’obsolescence de la loi.
II/ L’e-diffamation commerciale émanant d’un particulier et l’abus de la liberté d’expression
La loi Hadopi du 12 Juin 2009, reprenant le système de responsabilité en cascade de la loi du 29 Juillet 1881, prévoit la responsabilité de l’auteur d’un message diffamant publié sur internet. Cette dernière intervient dans le cas où la responsabilité du directeur ou du codirecteur de la publication fait défaut.
Outre le problème d’identification de l’auteur du message, les exceptions que celui-ci peut invoquer pour écarter sa responsabilité compliquent l’action en diffamation.
L’exceptio veritatis ou exception de vérité, consacrée par l’article 35 de la loi du 29 Juillet 1881, est un fait justificatif permettant à l’auteur du message, poursuivi pour diffamation, de s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve de la véracité des faits allégués. Cette exception doit respecter la procédure de l’article 55 de la loi de 1881 disposant que le prévenu devra signifier, au ministère public ou au plaignant, les faits desquels il entend prouver la véracité, en y joignant les pièces justificatives et les informations relatives aux témoins éventuels, dans un délai de 10 jours suivant la signification de la citation.
L’exception de bonne foi est reconnue de façon constante en jurisprudence par la réunion de quatre éléments :
- la légitimité du but poursuivi (intérêt que peuvent présenter les propos divulgués au vu de l’intérêt général) ;
- l’absence d’animosité personnelle : plus généralement observée par l’absence d’intention de nuire ;
- la prudence et la mesure dans l’expression (telle que l’usage du conditionnel, de sources, etc.) ;
- le sérieux de l’enquête (recherches d’éléments pour étayer les propos, observé surtout pour les articles écrits par des journalistes professionnels).
En matière de diffamation sur internet, le juge prend en compte, d’une part, la qualité de l’auteur (simple consommateur ou journaliste professionnel), et, d’autre part, le support sur lequel le message est posté (les blogs et forums de discussions étant des espaces où l’auteur peut s’exprimer plus librement que sur un journal). Il s’en dégage une certaine clémence envers l’internaute consommateur postant un message sur un forum ou un blog.
En effet, le juge privilégiera la liberté d’expression en reconnaissant que les propos divulgués représentent un intérêt général méritant d’être protégé au détriment du préjudice causé à la société (ex : Cass. Crim, 17 Mars 2015, n° 13-85-138 : les propos s’inscrivant dans un débat d’intérêt général). La responsabilité de l’internaute, auteur du message, est alors rarement engagée.
De plus, le régime de responsabilité étant calqué sur celui du délit de presse, il faudra rechercher en premier lieu la responsabilité de l’administrateur du site sur lequel les messages diffamatoires ont été publiés. L’administrateur du site peut, par ailleurs, également invoquer les faits justificatifs précédents pour s’exonérer de sa responsabilité (pour plus de détails sur la responsabilité de l’administrateur de site : http://www.village-justice.com/articles/irresponsabilite-administrateur,19548.html ).
L’intérêt de la société diffamée s’opposera toujours à la liberté d’expression et l’intérêt des consommateurs qui pèseront davantage dans la balance du juge.
Il ne s’agit pas de défendre l’un au détriment de l’autre mais d’assurer une défense effective pour la société, soumise au seul jugement de la vox populi.
Dans ce sens, l’intérêt du droit de réponse reste limité du fait de la crédibilité donnée à l’e-commerçant sur le site où il est diffamé.
Quant au « droit à l’oubli », le récent bilan de l’année 2014-2015 révèle un faible taux de réponse favorable aux demandes.
Sur les presque 250 000 demandes qu’a reçues Google, 11,2 % des demandes concernaient des atteintes à la réputation et 4 % concernaient des atteintes à l’image.
Au final, un taux de 70 % de refus des demandes se stabilise depuis Août 2014 (source : https://forget.me).
L’adaptation des lois existantes, qui a pu suffire pendant un temps, peine à englober la complexité d’Internet. Aujourd’hui, un autre problème se pose qui n’existait pas auparavant : la permanence des informations sur Internet qui devrait faire l’objet d’une loi spécifique.
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Source : http://www.village-justice.com/articles/reputation-des-societes-epreuve,19698.html
Par Laurent Feldman, Avocat et Raphaël Balji
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