Depuis le début de l’examen, à l’Assemblée nationale puis au Sénat, du projet de loi sur le renseignement, une disposition du texte concentre les critiques et les débats. Il s’agit d’une partie de son article 2, qui permettra aux services de renseignement d’installer des appareils analysant le trafic Internet pour détecter des comportements suspects de terrorisme. Le terme de « boîte noire », d’abord avancé par le gouvernement, est devenu leur nom officieux.
Les détracteurs de la loi y voient, par son caractère systématique et indistinct, l’introduction dans la loi française de la surveillance de masse. Ses partisans refusent le terme. Au Sénat, mardi 2 juin, ils ne sont pas parvenus à trancher ce débat, qui est loin d’être seulement sémantique.
Que dit le projet de loi ?
Le projet de loi sur le renseignement prévoit, en l’état, dans le seul cadre de la lutte contre le terrorisme, la mise en place de « traitements automatisés » sur les réseaux des fournisseurs d’accès à Internet français. Cela signifie que des matériels seront physiquement installés chez les opérateurs, dans lesquels des logiciels – les fameux algorithmes – vont inspecter les flux de données des internautes à la recherche de signaux que les services estiment être avant-coureurs d’un acte terroriste.
Pour les opposants, cela ne fait pas de doute. Si des algorithmes inspectent, automatiquement, l’intégralité des flux qui transitent chez les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à la recherche de comportement suspects, il s’agit d’une mesure de surveillance de masse ; et ce, même s’ils ne sont destinés qu’au repérage de quelques personnes. C’est le cas du sénateur Claude Malhuret (Allier, Les Républicains), joint par Le Monde :
« Ceux qui disent qu’il ne s’agit pas de surveillance de masse disent, à la phrase suivante, qu’il s’agit de chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais la botte de foin, c’est l’Internet français ! Les boîtes noires installées chez les FAI analyseront l’intégralité du trafic Internet français. C’est comme les radars sur les principales autoroutes : au bout de quelque temps, tous les Français seront passés devant. Elles cherchent des critères précis, mais en surveillant tout le monde ! »
Difficile en effet de qualifier autrement que « de masse » ce dispositif de surveillance, qui, au minimum, inspectera de très grandes quantités de données pour n’y repérer que quelques activités suspectes.
Ce qualificatif est pourtant violemment récusé par les défenseurs du texte. Le premier ministre, Manuel Valls, a assuré au Sénat mardi 2 juin que le projet de loi « n’exerçait pas de surveillance de masse des Français ». « Le texte n’autorise que de la surveillance ciblée, pas de surveillance de masse » a renchéri son collègue de la défense, Jean-Yves Le Drian.
Pas « d’atteinte à la vie privée »
Le sénateur socialiste du Loiret Jean-Pierre Sueur est du même avis :
« Il ne faut pas faire dire à la loi ce qu’elle ne dit pas. Certains disent que nous pompons les données comme le Patriot Act. C’est faux, c’est quelque chose contre lequel on a toujours été opposés. »
Lorsqu’on lui fait remarquer que pour repérer les suspects dans le flot des connexions, il faudra bien passer en revue toutes les connexions des internautes français, le sénateur dément : « Il ne s’agit pas de tout l’Internet français, mais seulement ceux qui se connectent aux sites terroristes. Notre objectif n’est pas de porter atteinte à la vie privée. » Un exemple d’utilisation des « boîtes noires » qui n’est cependant pas le seul avancé par les promoteurs du dispositif.
La loi ne précise pas les modalités exactes du déploiement de ces « traitements automatisés ». Elle ne limite d’ailleurs pas leur activité à la détection des visiteurs de sites terroristes (dont le blocage est par ailleurs prévu par la loi sur le terrorisme adoptée à la fin de 2014) mais, plus largement, des « connexions susceptibles de révéler une menace terroriste ».
De multiples amendements de suppression des algorithmes
La délicate question des algorithmes dans la loi sur le renseignement a été abordée mercredi soir au Sénat. Des députés issus de tous les groupes politiques, de la gauche à la droite, ont déposé des amendements de suppression du dispositif de « boîtes noires ».
La commission des lois du Sénat a apporté quelques modestes retouches : la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), l’organisme administratif de contrôle que crée la loi, pourra désormais se prononcer sur les « paramètres » des algorithmes, et non plus sur leurs « critères ». La commission a aussi précisé que l’autorisation du premier ministre, dont la validité sera ramenée de quatre à deux mois, devra préciser les paramètres des algorithmes. L’accès de la CNCTR aux algorithmes ne sera, enfin, pas seulement « permanent », mais également « direct ».
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Source : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/06/03/la-loi-sur-le-renseignement-mettra-t-elle-en-place-une-surveillance-de-masse_4646733_4408996.html
Par Martin Untersinger
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