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Cyber-terrorisme : un recrutement en 4 phases


BLOQUÉS

Ce fut l’une des applications immédiates de la loi antiterroriste de novembre 2014 : plusieurs sites internet accusés « de faire l’apologie du terrorisme » ont été bloqués depuis la mi-mars 2015 par le gouvernement français : plus aucun internaute ne pouvait y avoir accès.

 

 

Cette mesure visait à tenter de contrer la radicalisation islamiste express qui se déroule depuis plusieurs mois via Internet, à destination notamment des jeunes dont le nombre de candidats au départ vers la Syrie aurait augmenté de 116% depuis janvier 2014.

Les attentats perpétrés à Paris le 13 novembre tout comme ceux de janvier 2015  l’ont révélé crûment : quelques semaines, voire quelques jours, passés à surfer sur les plateformes et réseaux sociaux comme Youtube ou Facebook ou sur les autres forums d’activistes suffisent à former de petits bataillons d’apprentis djihadistes prêts à adopter les idéaux de groupes terroristes comme Daesh ou encore Jabhat al-Nosra, filiale d’Al Qaida.

 

 

Une cyber-propagande en plusieurs actes

Ils sont ainsi des centaines voire des milliers de jeunes, à se faire « hameçonner » dans leur chambre via internet… « Le passage par la mosquée n’est pas une obligation. Certains jeunes partent du jour au lendemain sans avoir jamais eu de réel contact avec l’islam », explique Dounia Bouzar, anthropologue et présidente du CPDSI (Centre de Prévention des Dévives Sectaires liées à l’Islam), en première ligne dans la lutte contre la radicalisation islamique en France.

Dans un rapport de novembre 2014, le CPDSI révèlait déjà que cet endoctrinement concerne à 80 % des familles de référence athée, issues non de milieux défavorisés mais plutôt des classes moyennes et supérieures. Surtout, il touche essentiellement des jeunes, âgés pour la plupart de 15 à 25 ans, dont certains sont partis en Syrie ou projetaient de le faire.

Ce recrutement pour des causes aussi extrêmes est le fruit d’une propagande redoutablement efficace qui se déroule en plusieurs actes.

Cela peut commencer, selon le rapport du CPDSI, par des vidéos découvertes au hasard de recherches sur internet. Y sont développés les thèmes du complot des plus forts contre les plus faibles, de contestation de la société de consommation avec son lot supposé de mensonges et de scandales : complots des firmes pharmaceutiques, scandales sanitaires comme celui de la vache folle, publicités mensongères etc… Une sorte de : « On nous cache tout, on nous dit rien, dans ce monde pourri ! » Et ces vidéos font mouche ! « Les adolescents ne supportent pas l’injustice » indique Bruno Falissard, Directeur de l’unité INSERM U669 (santé mentale de l’adolescent)ALGORITHMES.

 

 

Dès lors, l’engrenage est en marche.

Par le jeu d’algorithmes de recommandation – ce procédé technique permettant de filtrer automatiquement un corpus d’informations en fonction des centres d’intérêt d’un internaute – Youtube propose de nouvelles vidéos du même genre à regarder. Celles-ci suggèrent « l’existence de sociétés secrètes qui manipulent l’humanité » souligne le rapport. Pour preuve, de supposés symboles cachés par ces forces maléfiques, un peu partout dans le monde qui nous entoure : ainsi, par exemple, la lecture de la marque Coca Cola dans un miroir révèlerait, avec un peu d’imagination, l’inscription « No Mecque » en arabe.

De clic en clic, l’adolescent glisse vers des contenus évoquant de plus en plus l’islam présenté comme le seul recours contre ce Mal. « Ces vidéos ont pour but de prolonger et parachever la phase d’endoctrinement. C’est là qu’elles commencent par mettre en exergue des images de nature encensant la beauté de la création d’Allah » précise le rapport du CPDSI. Le jeune internaute entre alors de plain pied dans la phase de radicalisation dans laquelle les recruteurs induisent chez lui un questionnement spirituel quasi absent jusque-là.

Avant d’être exposé à une troisième salve de vidéos mêlant cette fois des prêches menaçants « sur les risques d’aller en enfer », « sur les bienfaits de la conversion à l’islam » etc… Des productions qui l’appellent à se « réveiller » et à « agir ».

 

 

Les « like » qui trahissent l’utilisateur

Parallèlement, l’endoctrinement se déroule aussi sur le réseau social Facebook. L’adolescent ne tarde pas à s’inscrire dans un groupe ouvert sur le fameux réseau social par les recruteurs pour l’inciter à combattre le prétendu complot. Il tisse ainsi rapidement des liens avec de nouveaux « amis » qui peu à peu évoquent le « djihad global ».

De manière très fine, le discours tenu sur ce réseau par les recruteurs est adapté à chacun selon son profil. « Par exemple, les filles qui indiquent sur leur profil Facebook leur volonté de s’engager pour des causes humanitaire, pour aider ou soigner les autres, sont repérées et abordées sous cet angle altruiste » raconte Dounia Bouzar. Rappelons à cet égard qu’une étude scientifique britannique a récemment révélé qu’il suffisait de quelques « clics » sur le fameux réseau social pour que celui-ci nous connaisse mieux que nos « vrais » amis et nos proches : ainsi, les psychologues de l’université de Cambridge ont montré qu’une centaine de « like » (les mentions « j’aime » par lesquelles un internaute définit les pages qu’il apprécie) suffit à l’algorithme de Facebook pour « cerner » une personnalité !

 

 

MATRAQUAGE.

Loin d’être le fait d’amateurs, le processus de recrutement s’apparente à une vraie démarche commerciale. « Semblable à celle que l’on retrouve dans les sectes. Elle s’adresse à tous » indique Serge Blisko, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Car il ne faut pas oublier la dimension de séduction déployée par les recruteurs qui se donnent l’apparence d’un entourage chaleureux. Une stratégie d’enfermement également. « L’internaute reçoit de nombreux messages de ses nouveaux « amis » sur Facebook, des dizaines de SMS par jour » explique Magalie*, une analyste de la Miviludes qui souhaite garder l’anonymat.

S’ensuit une phase dite de « déconstruction ». « Le but est alors de l’isoler. Les messages utilisent un néolangage, celui des initiés comportant de plus en plus de termes arabes transcrits phonétiquement. La liste des interdits s’allongent : aliments contenant de la gélatine de porc, parfums à base d’alcool etc. » poursuit Magalie. Dès lors, le matraquage des vidéos de propagande sur le web constitue, lui, la phase de reconstruction. « On réécrit l’histoire et les croyances de la personne » précise Magalie.

Vient enfin une dernière étape, celle du renforcement qui consiste à tout faire pour que l’individu n’échappe pas à cette emprise. Il est surveillé par d’autres, imprégné de réponses automatiques à toutes les critiques que l’on peut lui opposer. « On leur fait croire que la conversion à l’islam est un acte irréversible. Ce qui dans leur esprit ferme toutes les portes de sorties et complique sérieusement toute tentative de retour à la normale » précise Magalie.

Début mars 2015, Manuel Valls déclarait à la presse qu’il y avait 3000 européens aujourd’hui en Syrie et en Irak. « Il pourrait y en avoir 5 000 avant l’été et sans doute 10.000 avant la fin de l’année » s’inquiétait alors le Premier ministre. Un phénomène qui profite aussi de la poussée récente d’un autre réseau social : Twitter.

Une étude du Center for Middle East Policy paru en mars indiquait que Daesh disposait de 46000 comptes Twitter plus ou moins actifs. Mais selon les auteurs de cette étude, le succès du groupe terroriste sur les réseaux sociaux est surtout le fait de 500 à 2000 comptes hyperactifs qui twittent de manière intensive. Quant à la suppression de ces comptes pour contrer la propagande djihadiste, les chercheurs estiment que cela pourrait être contre-productif. Selon eux, si elle créé des obstacles à ceux qui veulent rejoindre Daesh, elle tend aussi à les isoler sur le web et pourrait ainsi accroître la vitesse et l’intensité de leur radicalisation. Ce qui n’est pas le but recherché !

 

 


 

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Source : http://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/20150317.OBS4764/cyber-terrorisme-un-recrutement-en-4-phases.html

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