En offrant aux internautes un formulaire pour se faire oublier, Google remplit son « contrat ». Mais il ouvre aussi la boîte de Pandore. Éclairage.
Rien ne prédestinait le premier moteur de recherche du monde à se mêler des contenus qu’il référence. Et pourtant, depuis le 30 mai, Google propose aux citoyens et résidents européens un formulaire gratuit pour faire valoir leur droit à l’oubli numérique. Et ils étaient déjà après une journée plus de 12 000 à l’avoir rempli et posté !
Formulaire accessible en trois clics
Cette initiative lui a été soufflée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui, dans une décision du 13 mai 2014, offrait aux internautes la possibilité de s’adresser directement au moteur de recherche pour demander le retrait de certains contenus. Jusqu’à présent, le déréférencement de pages web était ordonné en justice sur le fondement du droit à la vie privée ou des données personnelles. « Le moteur de recherche n’avait pas à arbitrer, le juge remplissait son office », rappelle l’avocat Jean-Sébastien Mariez.
La réactivité quasi immédiate du géant américain peut d’autant plus être saluée que Google est ici aux antipodes de son métier de base. « C’est l’exact opposé de la philosophie sur laquelle le moteur de recherche est construit. C’est comme si vous demandiez à un cuisinier trois étoiles qui concocte des menus pour vingt-cinq couverts de préparer des repas à bas prix pour toute une cantine scolaire, relève Étienne Wéry, avocat aux barreaux de Bruxelles et de Paris. Google aurait pu attendre encore quelques mois, car la Cour n’a fait qu’interpréter le droit européen et a laissé au juge espagnol qui l’a saisie le soin d’en tirer les conséquences dans le cas d’espèce concerné. En théorie, donc, Google pourrait sortir gagnant du procès », note l’avocat.
Mais au lieu de la politique de l’autruche, le géant américain a décidé de prendre les devants. Son formulaire, accessible en trois clics et en français, est très simple d’utilisation. Il suffit de se rendre sur la page d’accueil de Google.fr, de cliquer sur « Confidentialité et conditions d’utilisation » (en bas à droite), puis sur FAQ, et de choisir la troisième question : « Comment puis-je supprimer mes données personnelles des résultats de recherche Google ? »
Mais, attention, prévient Google en amont de la procédure, « supprimer des résultats de la recherche Google n’entraînera pas la suppression des contenus correspondants. Pour que des données n’apparaissent plus sur le Web, vous devez contacter le webmaster du site publiant les informations en question. » Autrement dit, la désindexation d’un contenu n’entraînera pas la disparition de celui-ci des écrans radars du Web. Ainsi, l’internaute qui souhaite voir supprimer son profil sur un réseau social doit contacter directement le webmestre de ce dernier. De Google, il ne pourra obtenir le cas échéant que la suppression du lien vers le site ou vers des pages associées.
Par ailleurs, pour éviter les fraudes, le moteur de recherche exige des requérants la photocopie d’un document prouvant leur identité (carte d’identité, passeport, etc.). Rien de surprenant, selon Me Wery, « le droit d’accès et de rectification des données personnelles étant lui aussi subordonné à la preuve de l’identité de l’intéressé ».
Du « cas par cas »
Reste à convaincre le moteur de recherche du bien-fondé de sa demande. Concrètement, l’internaute doit indiquer « en quoi le lien apparaissant dans les résultats de recherche est non pertinent, obsolète ou inapproprié » conformément aux critères fixés par la CJUE. « L’exercice est d’autant plus délicat que les demandes de déréférencement pourront concerner des contenus qui en soi ne sont pas illicites (photo de vacances postée par un tiers, post sur un blog ou curriculum vitae périmé) et dont le retrait suppose la disparition d’une page web complète (et pas seulement du commentaire faisant référence à la personne concernée ou de l’encart précis) », souligne Me Mariez.
Dans son évaluation, Google devra prendre en compte l’intérêt du public à connaître l’information, en fonction notamment du « rôle joué par le requérant dans la vie publique ». Le moteur de recherche doit notamment veiller à préserver l’équilibre entre le droit individuel à la vie privée et à la protection des données personnelles et le droit à l’information du public, lui aussi protégé par les textes. Autant dire que les experts chargés d’évaluer le bien-fondé des demandes devront chausser des lunettes de fins juristes !
D’autant que, eu égard à la rapidité des recherches, il serait malvenu de laisser patienter trop longtemps les prétendants dans la salle d’attente du droit à l’oubli. Pour l’heure, Google a confié à un comité d’experts indépendants le soin de définir les critères et les moyens à mettre en place pour traiter les demandes au « cas par cas ». Et la question des suites de l’arrêt de la CJUE est à l’ordre du jour du G29 des 3 et 4 juin afin que les « Cnil » européennes adoptent une position commune sur le sujet. « Mais il y aura forcément des erreurs. Google fera des mécontents et se mettra en risque. S’il évalue mal une demande, il pourra faire l’objet de sanctions », pointe Me Wéry.
Les requérants pourront saisir la Cnil comme ils le font déjà après avoir essuyé un refus de la part du site où sont publiés leurs photos, vidéos, textes ou faux profils dont ils ont demandé la suppression. D’ailleurs, les plaintes liées au droit à l’oubli, en hausse de quatre points par rapport à 2012, ont représenté 34 % du nombre total de plaintes en 2013. De plus, les responsables de site qui seraient en désaccord avec la décision du moteur de recherche de supprimer leur page des résultats de recherche pourront aussi se plaindre devant la commission. En dernier ressort, c’est la justice qui tranchera. Et le contentieux promet d’être copieux…
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Source :
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/laurence-neuer/google-aux-commandes-du-droit-a-l-oubli-02-06-2014-1830043_56.php
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