Les emails et les sms comme moyens de preuve | Denis JACOPINI

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Les emails et les sms comme moyens de preuve

Le courrier électronique vulgairement appelé « email » est devenu le moyen de communication le plus utilisé et par suite, le lieu de prédilection moderne pour les contenus illicites (propos racistes, photos à caractère pédophile, propos diffamatoires ou injurieux), l’instrument privilégié de fraudes informatiques ou encore le moyen d’un manquement à des interdictions ou obligations (usage abusif de la messagerie électronique de l’entreprise) mais surtout le lieu où se trouve la preuve d’un grand nombre de faits ou actes juridiques (preuve de l’adultère, du consentement contractuel, des relations commerciales).
Depuis peu, la preuve par SMS a de plus en plus d’occasion à être employée en justice.
Ainsi, de manière très intéressante, le législateur et la jurisprudence ont fixé le contour de ces deux nouveaux moyens de preuve.

 

 

Nous envisagerons ci-après la situation dans laquelle une personne souhaiterait produire en justice un email ou un SMS qui a été reçu par un tiers et donc qui ne lui a pas été adressé personnellement.

En effet, la réception d’un email ou d’un SMS par cette personne lui permet de les produire en justice à condition de respecter le formalisme de constatation de ces moyens de preuve particuliers.

 

A cet égard, l’article 1316-1 du Code civil est clair :
« L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».

Le fait qu’un courrier électronique puisse être utilisé comme mode de preuve ne fait dès lors pas de doute, à condition qu’il soit signé pour garantir l’intégrité de son contenu et l’identification de son auteur.

 

De plus, l’article 1316 du Code civil énonce :
« La preuve littérale, ou principe écrit, résulte d’une suite de lettres, de caractères de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission ».

 

Si les principes du « secret des correspondances » et du respect à la vie privée interdisent la production en justice des emails et des SMS qui ne nous sont pas destinés (I), ce principe comporte cependant des exceptions légales et jurisprudentielles. (II)

 

 

I – Les principes du secret des correspondances et le respect de la vie privée comme limites à la preuve emails et SMS
Les juridictions veillent à ce que chaque partie administre la preuve dont elle a la charge de façon loyale.

Une jurisprudence constante considère la loyauté comme une condition primordiale conditionnant la recevabilité de tout moyen de preuve (Cass. 3e civ., 15 janv. 1970).

Ainsi, les juges subordonnent, la recevabilité de la preuve au respect de règles ou principes tel que le respect de la vie privée ou le respect du secret des correspondances ou encore le respect des dispositions relatives aux données personnelles.

Le principe du secret appliqué à l’origine à la correspondance écrite s’est étendu à toute correspondance émise par la voie des télécommunications telle que les emails et les SMS.

L’article 1er de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 dispose ainsi que :
« Le secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques est garanti par la loi. Il ne peut être porté atteinte à ce secret que par l’autorité publique, dans les seuls cas de nécessité d’intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par celle-ci ».

 

C’est une ordonnance de référé rendue par le Tribunal de grande instance de Paris le 27 janvier 2003 qui, pour la première fois, a consacré le principe du respect du secret des courriers électroniques (T. corr. Paris, 2 nov. 2000).

Ce principe a donc un caractère quasi absolu.

 

Ainsi, au civil, la preuve obtenue illicitement au moyen d’une violation du secret des correspondances est jugée irrecevable par les juges et peut être sanctionné pénalement le cas échéant.

Pour s’en convaincre, il suffit de constater le nombre important de dispositions légales sanctionnant la violation du secret de la correspondance.

 

L’article 226-15 du Code pénal dispose que :
« Le fait, commis de mauvaise foi, d’ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d’en prendre frauduleusement connaissance, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

Est puni des mêmes peines le fait, commis de mauvaise foi, d’intercepter, de détourner, d’utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications ou de procéder à l’installation d’appareils conçus pour réaliser de telles interceptions ».

 

Par ailleurs, l’article323-1 alinéa 1er du Code pénal dispose que :
« Le fait d’accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende ».

En plus de ces sanctions pénales, la victime d’une atteinte à la vie privée peut obtenir de son auteur des dommages et intérêts.

 

Outre la sanction pénale qui peut être lourde, une autre sanction est autrement plus lourde de conséquences pour l’auteur de la violation de correspondance : l’irrecevabilité de la preuve obtenue par violation du secret des correspondances. En effet, au civil, la preuve obtenue illicitement au moyen d’une violation du secret des correspondances est jugée irrecevable par les juges

 

II – Les tempéraments légaux et jurisprudentiels permettant la preuve en Justice par emails ou SMS
Plus les années passent, plus les juges admettent la preuve par emails ou SMS.

Dans le cadre des procès pénaux, la chambre criminelle de la cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que :

« aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale, il leur appartient seulement d’en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire »
(Cass. crim., 13 oct. 2004).

 

Dans le cadre des procès en droit du travail, dans son célèbre arrêt Nikon, la chambre sociale de la cour de cassation a jugé que le respect de l’intimité de la vie privée du salarié interdit à l’employeur de prendre connaissance des emails personnels émis et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail (Cass. soc., 2 oct. 2001).

 

Le 17 mai 2005 la chambre sociale a limité ce principe général en jugeant que si « l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé », « sauf risque ou événement particulier »
(Cass. soc., 17 mai 2005).

 

La chambre sociale vient encore de préciser, dans un arrêt du 23 mai 2007 que :
« le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 NCPC dès lors que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicités »
(Cass. soc., 23 mai 2007).

 

Par ailleurs, l’assimilation jurisprudentielle de l’employeur au fournisseur de services Internet peut être intéressante car il pourra en résulter une obligation de conservation des données informatisées à la charge de l’employeur.

 

Ainsi, la Cour d’appel de Paris a jugé le 4 février 2005 que :
« en sa qualité non contestée de prestataire technique au sens de l’article 43-7 de la loi du 1er août 2000, la société BNP Paribas est tenue, en application de l’article 43-9 de ladite loi, d’une part, de détenir et de conserver les données de nature à permettre l’identification de toute personne ayant contribué à la création d’un contenu des services dont elle est prestataire et, d’autre part, à communiquer ces données sur réquisitions judiciaires »
(CA Paris, 14e ch., 4 févr. 2005).

 

Enfin, s’agissant des SMS un récent arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation vient de juger que l’utilisation d’un SMS comme mode de preuve est un procédé loyal recevable, par opposition à l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée effectuée à l’insu de son auteur, car ce dernier ne peut ignorer que les messages sont enregistrés par l’appareil récepteur
(Cass. soc., 23 mai 2007).

 

Dans le cadre des procédures de divorce, la Cour de cassation a admis la preuve par emails en rejetant l’argument selon lequel la production de courriels constituerait une atteinte au secret des correspondances et à la vie privée dans la mesure où le conjoint s’en serait emparé sans le consentement de l’autre. Elle a donc exclu que les emails puissent constituer un mode de preuve illicite réalisant une ingérence disproportionnée dans la vie privée non justifiée par l’intérêt de l’époux demandeur au divorce
(Cass. 1re civ., 18 mai 2005).

 

Ainsi, l’absence de remise volontaire des documents ne fait pas présumer la fraude.

Encore plus récemment, la 1ère chambre civile de la cour de cassation vient de censurer un arrêt d’appel en jugeant, le 17 juin 2009, que :

« en matière de divorce, la preuve se fait par tous moyens ; [et dès lors] … le juge ne peut écarter des débats un élément de preuve que s’il a été obtenu par violence ou fraude »
(Civ. 1ère, 17 juin 2009).

 

Les minimessages adressés par téléphone portable sont donc admis comme moyen de preuve de l’adultère quand bien même la lecture a été faite à l’insu de son destinataire et que cela constitue une atteinte grave à l’intimité de la personne, sauf à constater qu’ils ont été obtenus par violence ou par fraude.

Ne constitue ni une violence, ni une fraude, le fait de lire, à l’insu de son conjoint, les messages de son téléphone portable.

 

A la lecture de cette décision l’éminent Professeur de droit Jean Hauser fait la remarque suivante :
« Conjoints infidèles, mettez votre journal intime au coffre, brûlez vos correspondances, ne perdez pas vos portables, effacez vos messages et vos images dès que reçues, codez vos ordinateurs, des oreilles ennemis vous écoutent et les spams et virus conjugaux sont les pires ! »
(RTD. Civ 2009, p. 514)

 

Pour conclure, la Cour de cassation a ouvert la voie à ces nouveaux moyens de preuve et laisse une large marge de manœuvre pour la découverte d’une telle preuve.

 

III – La preuve par email ou SMS limitée par leur fiabilité technique
Lorsque l’e-mail produit à titre de preuve n’est pas signé, ce qui est souvent le cas dans les litiges, la question de la fiabilité technique se pose avec le plus d’acuité. Il en est ainsi dans les affaires en droit de la famille, en droit du travail et en droit pénal.

La personne soupçonnée d’avoir envoyé le mail litigieux pourra invoquer plusieurs types de défense pour mettre en doute la fiabilité d’un courriel.

Elle pourra tout d’abord prouver qu’elle n’était pas présente à son poste informatique à l’heure d’envoi du mail, ce qui n’est pas tâche facile.

En cas d’impossibilité d’apporter cette preuve, la personne pourra démontrer que d’autres personnes (époux, secrétaire, administrateur de réseau, tiers) ayant accès à son mot de passe auraient pu se connecter à son poste informatique et envoyer l’e-mail litigieux à partir de ce poste.

Si un mot de passe avait été mis en place, la personne soupçonnée pourra invoquer le fait que l’usurpateur a forcé son mot de passe et s’est introduit dans son poste informatique.

En effet, Eric Charton, dans un ouvrage intitulé Hacker’s guide indique qu’« absolument tous les mots de passe créés par des logiciels fonctionnant sous Windows mais aussi sur Mac et sur des ordinateurs sous Linux peuvent être décodés par un contre-logiciel de décryptage spécialisé : il suffit de le trouver sur Internet, et il est souvent gratuit » (éd. CampusPress, 2003, p. 175).

 

Face à la production par l’employeur d’un e-mail envoyé par un salarié, le salarié peut invoquer le fait qu’un tiers (un pirate, le pirate suspecté étant souvent l’employeur ou l’administrateur réseau) ait pu envoyer cet e-mail du poste informatique du salarié en s’introduisant sur ce poste dans le but de confondre ce dernier.

De même, dans un procès en divorce, l’époux qui se voit opposer un mail matérialisant ses manquements aux devoirs conjugaux, qu’il aurait envoyé, peut tenter de contester être l’auteur du mail (CA Paris, 11 févr. 2004).

En effet, il existe divers moyens afin de faire tomber la preuve par email ou par SMS, de sorte qu’ il convient de s’armer d’un avocat spécialisé en la matière pour ne pas courir de risque dans le cadre de la procédure judiciaire en produisant une preuve viciée.

 

Ainsi, il sera dans certains cas opportun de solliciter les services d’un avocat afin d’obtenir, avant toute action, une ordonnance sur requête délivrée par le Président du tribunal de grande instance compétent ainsi que la présence d’un huissier assisté, le cas échéant, par un expert en informatique pour procéder à des investigations afin de garantir la recevabilité juridique de ces éléments de preuve.

 

Je suis à votre disposition pour toute information ou action.
Anthony Bem
Avocat à la Cour
106 rue de Richelieu – 75002 Paris
Tel : 01 40 26 25 01
Email : abem@cabinetbem.com
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Source : http://www.legavox.fr/blog/maitre-anthony-bem/emails-comme-moyens-preuve-1185.htm#.VJ5rPsCA

Par  Maitre Anthony BEM