Les « Vrais faux » avis des consommateurs : quand e-réputation rime avec compétition |
En tentant de chiffrer les enjeux commerciaux associés aux avis de consommateurs, deux études permettent d’entrevoir l’intérêt bien compris des acteurs de l’e-réputation tentés de s’engager sur le marché des services de rédaction et de publication de commentaires, ainsi que le bénéfice que leurs clients sont susceptibles d’en retirer. Attention à ne pas tomber dans la manipulation…
Réputation, la nouvelle donne du Web 2.0 En plus des canaux traditionnels, l’e-réputation résulte désormais de nouveaux acteurs – consommateurs, concurrents, salariés, etc. – et de nouveaux supports : réseaux sociaux, blogs, sites d’avis de consommateurs. Si les atteintes à l’e-réputation prennent des formes variées, le phénomène des « vrais faux » avis sur les plateformes communautaires revêt aujourd’hui une ampleur préjudiciable pour la confiance dans l’économie numérique. Il vise deux finalités principales : La première consiste à gonfler artificiellement la notoriété d’une entreprise, sa notation et la visibilité sur Internet qui en résulte auprès des consommateurs ; il s’agit dans ce cas de figure d’avis positifs postés par l’entreprise elle-même ou son prestataire. La seconde consiste à dénigrer les produits ou prestations d’une entreprise, son image ou sa réputation ; il s’agit là de commentaires négatifs postés par un concurrent ou son prestataire. Dans les deux cas, l’objectif est double : promouvoir de manière non transparente ses propres produits et discréditer ceux d’un concurrent.
Au-delà de l’atteinte à la (e)-réputation, quel enjeu commercial ? Appréciés au regard des conclusions d’une seconde étude, selon laquelle environ 16 % des avis sont frauduleux, ces chiffres permettent d’entrevoir l’intérêt bien compris d’acteurs de l’e-réputation tentés de s’engager sur le marché des services de rédaction et de publication de commentaires ainsi que le bénéfice commercial que leurs clients sont susceptibles d’en retirer. Il n’en va pas sans risque juridique au regard de la responsabilité des entreprises et des prestataires qui feraient le choix de s’engager sur cette voie. La DGCCRF dotée de nouveaux pouvoirs par la loi « Hamon ». C’est vers les États-Unis qu’il faut se tourner pour trouver un exemple récent d’action répressive à l’encontre de professionnels des « vrais faux » avis et de clients en mal de notoriété sur Internet. L’avocat général de l’État de New York annonçait en septembre 2013 la conclusion d’un accord avec 39 entreprises s’engageant à cesser d’avoir recours à de tels procédés frauduleux ainsi que le paiement par ces sociétés d’amendes pour un montant total de 350 000 dollars.
En France, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) semble s’être emparée du sujet et a multiplié les contrôles qui feraient suite à des signalements de consommateurs abusés ou de professionnels victimes de concurrents. Ses pouvoirs vis-à-vis des services web ont d’ailleurs été renforcés par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation (dite loi Hamon). Par exemple, en cas de pratiques commerciales déloyales (cf. ci-dessous), l’article L.141-1 du code de la consommation lui donne désormais la faculté de saisir le juge afin de solliciter toute mesure propre à prévenir ou faire cesser un dommage causé par le contenu d’un service de communication au public en ligne.
Concrètement, ces dispositions semblent ouvrir la voie à des mesures d’injonction de blocage de sites web prononcées à l’encontre de l’hébergeur du site internet litigieux ou des fournisseurs d’accès à internet. Rappelons aussi que la DGCCRF a la possibilité de transmettre le résultat de ses investigations au procureur de la République qui décidera de l’opportunité des poursuites. À ce jour, aucune condamnation pénale ne semble toutefois avoir été prononcée.
Qualifications juridiques, recours et sanctions Restées jusqu’ici théoriques, les sanctions pénales encourues doivent être rappelées : deux ans d’emprisonnement et 187 500 euros d’amende pour une personne morale. Cette amende peut être portée à 50 % des dépenses affectées à la publicité ou à la pratique constituant le délit et complétée par la publication du jugement et/ou la diffusion d’annonces rectificatives. Sur le plan civil, un premier réflexe pour une entreprise victime de commentaires frauduleux serait de viser la plateforme communautaire afin de solliciter le retrait des avis dont le caractère dénigrant serait démontré. De plus, la réparation du préjudice subi par un concurrent dénigré pourra résulter d’une action en réparation sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. À ce titre la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 19 mars 2008, a sanctionné une société ayant « jeté le discrédit sur les produits commercialisés » par son concurrent après avoir publié des avis négatifs sur son compte. Lorsque les avis sont publiés sous couvert d’anonymat, une attention particulière devra être portée à la collecte de la preuve de l’identité de l’auteur des avis litigieux. Dans une récente affaire, la seule mention d’une adresse IP correspondant à l’ordinateur d’une société concurrente a été jugée insuffisante pour démontrer la réalité des manœuvres alléguées.
Vers une autorégulation des plateformes communautaires d’avis ? Pour être opposables aux consommateurs, ces recommandations devront pour certaines être intégrées aux conditions générales d’utilisation des plateformes communautaires qui feraient le choix de s’y conformer. Une norme est en effet dépourvue de force contraignante. Par un arrêt du 27 février 2013, la Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de rappeler qu’une norme « n’a aucun caractère obligatoire et ne constitue qu’un recueil de recommandations de bonnes pratiques ». Dans cette affaire, la Cour a refusé les demandes de nullité d’un procès-verbal de constat fondées uniquement sur le non-respect de la norme relative au « mode opératoire de procès-verbal de constat sur internet effectué par huissier de justice ».
Jean-Sébastien Mariez / Avocat | Le 25/05 à 08:33
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